Le Figaro (08 août 2016)

Le Figaro – 3 août 2016 – « Le courant pour une “écologie humaine” a désormais son manifeste »

gérard leclerc

Tribune parue dans Le Figaro, le 3 août 2016 –
L’essayiste salue le nouveau livre de Tugdual Derville  qui défend une vision de l’homme opposée au transhumanisme et à l’euthanasie. Gérard Leclerc est éditorialiste à Radio Notre-Dame et à France catholique.

 

L’écologie est plus qu’à la mode. Fort heureusement, car la cause vaut beaucoup mieux que certains de ses leaders proclamés. Elle est même impérative pour toutes les raisons que l’on sait. Mais l’écologie pose un problème singulier. Au-delà de ses sectes les plus extrémistes, elle a mis l’homme en procès pour crime envers la nature. L’homme, ce pelé, ce galeux dont vient tout le mal… Le procès n’est pas illégitime, il pèche néanmoins par défaut ou insuffisance. Car le coupable est aussi victime.

Victime de lui-même, sans aucun doute, mais victime de plus en plus en péril dans la mesure où le saccage dénoncé le vise de plus en plus directement dans son intégrité physique et morale. De cela, la plupart des écologistes patentés n’ont cure. Ils sont souvent parmi les premiers à militer, au nom de prétendues conquêtes sociétales, en faveur de ce qui détruit le plus implacablement le cœur même de notre humanité. Qu’il s’agisse de PMA, de GPA, d’euthanasie, ils combattent, à quelques exceptions près, pour la déshumanisation accélérée de notre espèce, sans comprendre à quel processus infernal ils se sont enchaînés. Processus magistralement démonté par Tugdual Derville dans Le Temps de l’homme. Pour une révolution de l’écologie humaine (Plon). L’ouvrage vient d’être publié et s’impose comme un fanal lumineux au milieu de tous les défis de notre temps.

Que nous dit-il d’essentiel ? « De toutes les façons, nous n’avons plus le choix : la révolution bio-technologique place l’humanité au pied du mur. Pour se préserver de la dénaturation, l’homme doit maintenant se définir. Il lui faut comprendre son identité pour y consentir et s’humaniser davantage. Cela suppose de résister aux nouvelles sirènes scientistes. Car leur chanson, devenue tonitruante, annonce une “redéfinition de l’homme”. Nous ne contesterons ni la science, ni la technique, ni la médecine qui sauvent tant de vies. Mais peut-on laisser les richissimes multinationales du web devenir plus puissantes que les États eux-mêmes dans leur prétention à remodeler l’homme, jusqu’à imaginer de le rendre immortel ? Comment préserver l’humanité d’une dissolution dans l’absolutisme technologique ? » Certes, Tugdual Derville a eu des prédécesseurs dans la dénonciation prophétique de ce que Günther Anders appelait l’obsolescence de l’homme. Mais nous sommes parvenus à cette phase ultérieure où l’hubris technicienne convoite le mythe du cyborg et où Günther Anders se voit confirmé dans la plus tragique de ses hantises.

Dès lors, la priorité de définir une écologie humaine s’affirme comme une nécessité absolue. Et c’est peut-être aux écologistes qu’il revient d’abord d’en prendre conscience, en franchissant un degré supplémentaire. Ontologique, si l’on veut. Il y a une spécificité de l’humain à reconnaître, sans se tromper. Il ne s’agit nullement de réduire l’homme à la nature, dont il ne saurait émerger comme un simple chaînon de l’évolution. Il est à lui-même son propre oikos, sa propre demeure, qu’il faut explorer avec l’attention adéquate. C’est cette attention extrême en même temps que délicate, que Tugdual Derville exerce avec sagacité et précision. Son langage n’est pas celui d’un philosophe, il n’en obéit pas moins à toutes les requêtes d’une phénoménologie dont le langage restitue la chose même, notre humanité la plus vivante et parfois la plus fragile. Ce faisant, il s’oppose de front à la mentalité qui, faisant de tout un objet de construction, soutient puissamment le projet d’assujettissement de l’humain par la technique.

La sexualité constitue aujourd’hui un des plus vifs enjeux de l’écologie humaine, car l’idéologie du genre, qui entend l’abstraire de ses conditions charnelles en l’érigeant en artefact pseudo-culturel, précipite sa chute irrémédiable. Le délire constructiviste produit ainsi ses pires ravages : « Car la relation sexuelle – celle qui engage le corps, le cœur et l’âme dans un présent d’éternité – est l’acte qui célèbre l’humanité avec le plus d’éclat. Chez l’homme, le sexe relève du sacré. Il combine, au naturel, l’intimité la plus profonde entre deux êtres et l’ouverture à la vie. » Inutile de dire que nous sommes au centre d’une lutte inexpiable, où l’État socialiste a pris parti de la façon la plus idéologique pour «la dénaturalisation du genre, de la sexualité et de la famille », s’exposant ainsi à un formidable mouvement de fond, qui n’a pas fini de produire ses effets en chaîne.

D’où justement le projet révolutionnaire, constructif d’une écologie humaine. Mais à un projet qui est aussi d’ordre politique, il faut une stratégie, un enracinement populaire, des positions offensives (non pas pour faire du mal mais pour créer du lien). Le mérite de celui que dessine Tugdual Derville est de s’intégrer à ce que Maurice Clavel appelait le mouvement de la vie, dans ses plus beaux fleurons. Il utilise à ce propos une métaphore très suggestive, celle du mycélium – « ce réseau de fines racines interconnectées » qui innerve l’humus de nos campagnes et permet l’efflorescence des champignons les plus savoureux. Le mycélium de l’écologie humaine est à la pointe de la créativité sociale. Il est à l’origine «d’une multitude d’initiatives destinées à sortir de l’isolement et de l’exclusion les personnes concernées par le handicap, celles qui survivent dans la rue, les personnes âgées seules, les femmes enceintes abandonnées, les enfants maltraités, les personnes en fin de vie…». Drôle de troupe révolutionnaire ? Bien sûr, mais elle entraîne d’autres solidarités, de proche en proche. Elle a le mérite précieux de sauvegarder et faire grandir ce qu’il y a de meilleur et de plus fécond en nous. Il faut lire, d’urgence, Tugdual Derville ! Il nous offre les clés en or d’un avenir où il n’est plus question de l’obsolescence de l’homme.

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