Valeurs Actuelles
(15 septembre 2016)

Valeurs Actuelles – 15 septembre 2016

Article d’Anne-Laurtranshumanismecafpe Debaecker,
paru dans Valeurs Actuelles, « L’Incorrect, débats & opinions »
le 15 septembre 2016.

Vous êtes l’un des promoteurs de l’écologie humaine. De quoi s’agit-il exactement ?

L’écologie humaine promeut le respect de l’Homme comme une priorité. Il s’agit de protéger l’être humain intégral, c’est-à-dire dans toutes ses dimensions, selon la formule « tout l’homme et tous les hommes ». Êtres de culture et de nature, nous vivons en interaction continue avec notre environnement. L’écologie humaine intègre donc le souci de la planète et des écosystèmes, mais en partant de la condition humaine. Or, cette condition est de plus en plus menacée, car l’homme est devenu capable de dénaturer non seulement son environnement mais aussi sa propre identité… Sans écologie humaine, sans anthropologie ajustée, la défense de l’environnement se retourne contre l’Homme, au lieu de l’aider à exercer sa responsabilité sur la création.

Certains reprochent justement à ce mouvement de mettre l’homme au centre des préoccupations, au détriment de la nature, et d’être, ainsi, éloigné de la pensée écologique – qui aurait parmi ses piliers la critique de l’anthropocentrisme…

Les tenants de la « deep ecology » prétendent, comme l’antispéciste Peter Singer, que l’homme n’a rien de supérieur à l’animal ou encore qu’il faudrait octroyer une personnalité juridique à la planète. Ils ne sont pas loin de considérer l’homme comme une espèce nuisible. Il faut remettre les choses dans l’ordre : c’est l’homme qui nomme les animaux, c’est lui qui est responsable de ses actes, notamment de leur impact sur l’écosystème nécessaire à sa survie. C’est à lui qu’incombe la responsabilité d’en prendre soin. Et n’ayons pas peur d’affirmer qu’il occupe donc la première place. En croyant pouvoir s’affranchir des murs porteurs de notre identité humaine, des « verts » ont détourné l’écologie en idéologie. C’est la critique que je fais à l’écologie politique française qui a oublié l’écologie de l’homme. Même si José Bové ou Pierre Rabhi assument une posture plus cohérente en rappelant que la nature de l’homme fait partie des enjeux écologiques.

Vous avez nommé votre ouvrage « Le temps de l’Homme ». Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère ?

L’Homme est en effet devant un choix crucial, parce qu’il est confronté à la puissance exponentielle des biotechnologies qu’il peine à apprivoiser. La régulation de cette puissance est devenue vitale. Le temps de l’Homme, c’est une sagesse à trouver ensemble dans l’utilisation de ces découvertes.

Aujourd’hui, des scientistes matérialistes ne cachent pas leur intention de modifier la nature humaine pour l’améliorer. Nous avons là un enjeu historique : l’homme va-t-il consentir à ce qu’il est, c’est-à-dire aux limites que lui imposent son corps sexué, le temps compté et la mort inéluctable, ou va-t-il se traiter en bouc émissaire de ces limites, vécues comme d’insupportables frustrations ? Une certaine culture de toute-puissance tente de nous faire croire que les limites de l’homme sont la cause de ses malheurs. Il faudrait alors éliminer l’homo-sapiens basique, sexué, soumis au temps, mortel, et le dépasser pour échapper à cette condition humaine jugée avilissante. Les premières victimes de ce fantasme seraient les plus pauvres et les plus vulnérables, victimes de la fracture technologique. Dans son eugénisme, la société élitiste qui s’annonce exige en effet la performance. Les fragiles y sont indignes de vivre.

Selon vous, « face aux folies scientistes », la « culture véritable est l’antidote écologique par excellence ». De quelle façon ?

C’est la culture du réel qui nous sauvera. Dans leur orgueil prométhéen, des scientistes croient pouvoir réduire la personne humaine à des équations. Leur « réductionnisme neurologique » (réduire l’homme à son cerveau) est ancré dans le mépris de la chair et de la vulnérabilité et le déni de toute dimension spirituelle. Au lieu de fantasmer sur la mutation de l’homme en machine, je propose de reconnaitre la complexité de tout homme. Cela suppose d’adhérer à la part de mystère qui nous est propre. Plutôt que d’imaginer un homme hors-sol, je valorise nos enracinements, notre héritage biologique, familial et culturel, notre langue, notre histoire, le territoire où nous naissons… Ensuite, plutôt que de nous regarder comme « programmables », je prône la défense du « for intérieur », sanctuaire inviolable de la conscience. Enfin, j’invite à reconnaitre que, dès la gestation et la naissance, nous sommes interdépendants. Nous sommes ainsi reliés les uns aux autres par une anthropologie du don : chacun se trouve en se donnant. Pour répondre à  la folie scientiste, rien de tel que de partager du temps avec les personnes fragiles. Cela nous réconcilie avec l’humble grandeur de notre humanité.

L’utérus artificiel –qui est annoncé par les chercheurs- fait-il partie de ces « folies scientistes » ? Ne constitue-t-il pas un progrès, notamment pour les femmes stériles ?

Ce sont toujours les fragilités humaines qui sont brandies en alibi d’une posture de toute-puissance. Face aux promoteurs de l’utérus artificiel ou même de la GPA, il suffit de prendre conscience de la complexité du corps à corps et du cœur à cœur mère-enfant durant la grossesse pour comprendre que priver délibérément le bébé de cette richesse, de son droit de naître de sa mère, constitue une grave maltraitance.

Faute de régulation par la loi, le désir d’enfant devient tyrannique. Dans le cas de la GPA, on veut faire croire que la séparation d’avec la mère porteuse est neutre. C’est contredit par toutes les découvertes scientifiques sur la grossesse. Les interactions entre le fœtus et sa mère se révèlent de plus en plus riches et précieuses… Programmer leur rupture est indigne. Ni le désir, ni la souffrance, ni la compassion, n’autorisent de porter atteinte à la dignité humaine. Et il faut toujours s’abstenir d’utiliser des moyens qui bafouent les droits fondamentaux des plus faibles.

A propos de limites éthiques : l’utilisation de la technique CRISPR-Cas9 « a fait franchir » à l’humanité « une ligne rouge inédite », avertissez-vous. De quoi s’agit-il ?

Cette technique, découverte récente, fonctionne comme une sorte de ciseaux génétiques : elle permet, de manière simple et peu coûteuse, d’enlever une partie d’un gène, pour éventuellement la remplacer. D’extraordinaires perspectives, notamment thérapeutiques, sont ouvertes. Mais la ligne rouge est franchie quand des scientifiques, en Chine ou en Grande-Bretagne, prétendent, au moyen du CRISPR-Cas9, modifier des embryons. On créerait ainsi des êtres humains transgéniques, avec des mutations génétiques mal maîtrisées. Ne soyons pas naïfs ! C’est jouer avec le feu que de traiter une personne humaine en cobaye… que certains voudront faire naître. Notre génome fait partie du patrimoine mondial de l’humanité. L’UNESCO le reconnait. J’ai donc lancé avec Alliance VITA une pétition pour demander que la France obtienne des instances internationales une régulation du CRISPR-Cas9, avec interdiction de l’utiliser sur l’embryon ou les gamètes.

Au final, quelle utilisation du progrès technique ?

La régulation par l’éthique de l’utilisation des biotechnologies est le défi du millénaire. L’homme, qui a mis la main sur l’origine de la vie, doit consentir à sanctuariser son patrimoine génétique s’il ne veut pas être le jouet des apprentis-sorciers. Plus généralement, nos pouvoirs publics sont trop ignorants des sujets « biopolitiques ». Ces sujets conditionnent le long terme, mais sont monopolisés par des multinationales du Web dont la puissance est supérieure à celle des États.

Des questions-clés nous sont aujourd’hui posées : l’homme de demain sera-t-il libre ou programmé ? Serons-nous capables, non seulement de transmettre aux générations futures une planète habitable, mais aussi les précieux repères anthropologiques immémoriaux dont nous avons tous bénéficié ? C’est notre liberté qui est en jeu.

 

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